Dans notre monde de l’ingénierie des systèmes complexes, on a tendance à se laisser influencer par l’environnement technique ou technologique que représente le produit final.
J’ai la chance de faire partie de la génération qui n’avait pas internet et qui a vu l’avènement de l’ère digitale. J’ai aussi la chance d’être de cette génération de 40aire qui doit faire le lien entre les générations « millénium » comme certains les appellent et la génération des managers cinquantenaires. Je parle de chance mais d’autres parlent de problème. Un problème ? Tout au plus une complexité, car il faut arriver à vivre dans des référentiels assez différents. Mais de là à parler de problème…
Je pense qu’on doit simplement se mettre dans le référentiel de l’autre et sortir de notre monde technologique pour le faire. Les outils digitaux et numériques restent des « matériels » à mettre au service de l’homme.
Oui… Nous ne sommes pas (encore) dans War Game ou dans un épisode de Terminator (j’ai 45 ans…). L’homme doit rester aux commandes car il reste la genèse de la création de valeurs.
On met en place des outils pour structurer la manière dont on conçoit
On utilise des wiki pour apprendre. On forme à outrance sur l’intelligence collective. On saupoudre tout cela de softskills. On parle de bienveillance et d’entreprise libérée… Et quand va-t-on décider de donner une vision plutôt qu’une solution ? Confucius disait : « Je ne cherche pas à connaître les réponses, je cherche à comprendre les questions » . Et si on libérait tout le monde des visions formatées, des outils normés, du « on va pas tout refaire, on a un truc qui y ressemble et qui répond aux aspects règlementaires »… Si on pensait vision d’ensemble ? Si, avant de se jeter sur le système à faire, on s’autorisait à avoir une vision holistique en pensant d’abord au système « pour faire » ? Si on tentait de fusionner l’empirique, le scientifique et pourquoi pas le philosophique, si cela permet la compréhension des enjeux ?
Je suis un enfant des grands groupes et je suis aujourd’hui patron de PME
Nous accompagnons aujourd’hui des clients sur des projets internationaux des plus complexes. Les questions que je pose ne sont pas issues de l’esprit d’un romantique en errance dans le monde de l’ingénierie. L’efficience de nos systèmes sociétaux, physiques, homme/machine, vient et viendra de l’homme, pas des outils qu’il utilise ou utilisera pour les concevoir.
Un client m’a demandé en combien de temps il pourrait changer fondamentalement les choses. Je lui ai répondu que cela dépendait de deux paramètres critiques : tout d’abord, de sa capacité à investir dans ce changement, et ensuite de son niveau d’abstraction, car je ne pense pas qu’il sera toujours en poste quand le changement sera notable.
En gros, il faut un cycle générationnel de concepteurs, mais si aucun investissement n’est fait aujourd’hui, rien ne se passera dans l’avenir et on continuera à concevoir comme on le fait.
Les générations sont de formidables légions d’apprenants
Mais si on continue à les enfermer dans des schémas qui ne les libèrent pas, qu’on les pousse à l’expertise plutôt qu’à la vision d’ensemble, si les processus d’architecture sont enfermés à double tour par les droits des outils digitaux, on ne concevra sûrement pas trop mal, mais à coup sûr pas bien. On fera du beau mais pas du bon pour longtemps ou inversement. Le coût global de possession n’est pas une notion qui peut être la seule propriété des bureaux d’études si elle est déjà intégrée… Il faut envisager l’architecture des systèmes en allant bien au-delà des phases projet sur lesquelles les ingénieurs sont impliqués.
Il faut ouvrir les portes des usines et des bureaux d’études, il faut pousser les exploitants à investir les ingénieries, demander au concepteur d’apprendre à aimer l’odeur du cambouis et demander à l’architecte de créer le langage commun. Sans cela, le noble art de la conception ne sera seulement maîtrisé que par quelques rares « architectes d’ensemble », que l’on pousse trop souvent à suivre la voie royale du management ou que l’on laisse de coté parce qu’ils sont trop en rupture…