Ma « rencontre » avec le Business Design date de l’époque où je travaillais pour PwC, poussée par le besoin de trouver des réponses d’accompagnement adaptées à la construction de projet complexes, comme la Cité de l’Innovation et des Savoirs à Marseille, porté par AMU, ou le Technopole Transalley à Valenciennes, avec des enjeux importants en termes d’investissement et d’innovation dans les services. Depuis, j’ai réalisé de nombreuses missions qui m’ont aidée à structurer et consolider l’approche et ses outils. C’est cette expérience et les réflexions qui en découlent que je souhaite partager dans ce blog.
Le Business Design : les origines d’une approche holistique des projets d’innovation
La décision de lancer .BD a été l’occasion d’ouvrir des échanges d’abord en interne, puis avec des confrères et clients au sujet de la pertinence de l’approche du Business Design.
A l’issue de ces échanges, le constat que j’en tire est double :
- L’intérêt pour le Business Design est croissant parmi les professionnels du conseil, notamment dans les secteurs de l’accompagnement à l’innovation et dans la conception de services, de plus en plus conscients de la valeur ajoutée de la vision holistique portée par l’approche ;
- Toutefois, le concept reste relativement méconnu voire inconnu des entreprises à l’exception, dans la plupart des cas au moins, des start-ups, a fortiori tournées vers l’innovation, et pour lesquelles les réflexions autour du Business Model sont au cœur de leur possibilité de croissance.
Cette méconnaissance, au-delà du cercle des professionnels du conseil, est sans doute due à l’apparition récente de cette approche et de ses outils, qui nécessite une appropriation plus large pour entrer dans la sémantique et dans la pratique et donc, sans doute d’un effort de vulgarisation.
D’où la décision de démarrer ce blog par une brève série de trois billets sur le Business Design : j’essaierai de parcourir, rapidement, la jeune histoire du Business Design, ses spécificités par rapport au plus traditionnel conseil en stratégie et management, et d’en présenter les principaux outils de travail.
Le business design : Quésaco ?
Repartons des fondamentaux avec une définition de ce qu’est le Business Design.
Concrètement, nous pourrions définir le Business Design comme l’application de méthodologies d’analyse centrées sur l’humain qui permettent la transformation d’une idée en entreprise viable à long terme.
Il existe trois leviers fondamentaux aux démarches de Business Design : la désidérabilité, la faisabilité et la viabilité économique et financière.
Désidérabilité : les produits et services développés doivent, dans ce cadre, correspondre aux besoins, mais également aux envies et aux aspirations des hommes et des femmes à qui ces solutions s’adressent. En d’autres termes : pas de besoin, pas de désir = pas de marché, pas de business.
Mais ce n’est pas suffisant : si nous souhaitons lancer un nouveau business, notre objectif ultime est de produire un profit (ou une situation d’équilibre si nous agissons dans le cadre d’organisations à but non-lucratif qui découle de l’optimisation de la satisfaction perçue par le client, et donc du prix qu’il est prêt à payer, et des coûts des ressources nécessaires pour produire les services et/ou produits imaginés.
Faisabilité : il s’agit de préciser quelles sont les ressources et les conditions opérationnelles de faisabilité du projet.
Viabilité : il convient de traduire le projet en chiffres et d’en vérifier la viabilité économique, financière et juridique.
À ces 3 dimensions fondamentales, nous pourrions en ajouter une quatrième : la pérennité, soit la viabilité du projet dans le temps. Cette dernière dimension est étroitement liée à la nature du besoin (fondamental, lié à un effet mode…) auquel nous apportons une solution.
Pour résumer, Le Business Design fournit des outils permettant d’une part d’analyser et comprendre les besoins des utilisateurs et d’autre part, de construire des solutions viables d’un point de vue économique et financier.
Les origines du Business Design : le design de services et l’humain au cœur du business
Une fois que nous avons clarifié notre sujet, même si de manière synthétique, il est intéressant d’en parcourir la genèse.
A l’origine du développement du Business Design, il y a le design de services.
En effet, l’humain, les personnes, leurs besoins et leurs comportements, sont au cœur du processus de conception des services, à cause de l’une des spécificités qui les distinguent des produits : l’interaction, à différents niveaux, entre le fournisseur de services et ses clients. Cette interaction fait partie intégrante de leur processus de production. D’où l’attention accrue de ce secteur aux usages, aux motivations subjacentes à la consommation et à l’expérience client.
Aussi, depuis au moins une vingtaine d’années, les services ont été l’un des secteurs les plus révolutionnés, « distruptés », par l’innovation technologique et notamment le digital, ce qui a amené à revoir profondément dans bien des cas le business model des services traditionnels.
Il suffit de rappeler ce qui s’est passé dans le secteur du tourisme, avec des bouleversements profonds qui ont conduit à la création d’un Tripadvisor et à la chute de géants comme le voyagiste Thomas Cook, incapable de prendre le tournant du numérique et de gérer une croissance externe trop coûteuse. Sans parler du tremblement de terre causé par la parution d’Amazon sur le marché (qui d’ailleurs a fait pivoter son business model 4 fois avant d’aboutir à celui que nous connaissons) dans le secteur de la distribution, et qui a entrainé la transformation de nos comportements d’achat.
C’est ainsi que depuis la moitié des années 2000, beaucoup d’agences internationales de design ont commencé à se positionner sur l’innovation service (Frog design, idéo, etc.) et à développer de nouvelles approches et propositions de valeur, repartant notamment de la boite à outils du design thinking. Le changement de perspective est significatif dans le monde de l’innovation où très (trop) souvent, on a imaginé des solutions en partant du développement technologique sans prendre en compte les besoins, les envies et les comportements des utilisateurs et acheteurs.
La question cruciale qui suit est : « comment allons-nous le faire ? »
Si comprendre les besoins et les envies des clients et concevoir des solutions désirables, représentent la condition sine qua non pour la construction d’une entreprise ou d’un nouveau projet, le passage suivant, tout aussi fondamental, est celui du « comment faire ».
Le « comment » se traduit dans le Business Design par une analyse opérationnelle du projet : quelles sont les ressources nécessaires ? Les besoins RH et technologiques ? Comment communiquer ? Avons-nous besoin de partenaires pour avancer ? …
Il s’agit d’investiguer la « faisabilité » opérationnelle du projet.
C’est là où finalement le Business Design marque une première avancée par rapport au Design Thinking qui s’arrête à la phase de prototypage et de test de la solution imaginée, sans entrer dans les rouages de la production à l’échelle du marché visé.
Mais enfin, est ce que nous sommes capables d'être profitables ? … De la faisabilité à la viabilité économique et financière.
Pour qu’un projet connaisse un potentiel succès sur le marché, il existe une dernière étape d’analyse à franchir : la viabilité économique et le retour sur l’investissement.
C’est la question qui, inéluctablement, est posée par mes clients : « le projet est-il viable ? Avec quelle marge ? ».
C’est à cette question que le Busines Design essaie d’apporter des éléments de réponse en projetant des scénarii possibles en termes de P&L et de risques inhérents.
In fine, la valeur apportée par le Business Design réside dans un parcours de développement d’un projet par étape, de tests, de validations et de correction à chaque phase, afin d’aboutir à la définition d’un business model viable, qui adresse l’ensemble des dimensions de l’entreprise en minimisant les risques.
Le Business Design a fait ses preuves ces dernières années en termes de retour sur l’investissement, ou ROI, en apportant des réponses co-construites, concrètes et tournées vers l’opérationnel, avec la conscience, et la responsabilité des implications économiques qui en découlent.
Le ROI est un sujet auquel les entreprises, quelle que soit leur taille, sont de plus en plus attentives, et qui les amène à constater plus lucidement les limites du consulting traditionnel, trop descendant (sinon condescendant) et théorique.
Ce qui a amené au développement d’entreprises comme Strategyzer, acteur mondialement reconnu sur le sujet, mais aussi à la course des grands cabinets de conseil à l’acquisition d’agences spécialisées dans le Business Design : Accenture, Deloitte, IBM, KPMG et McKinsey & Company, ont investi collectivement plus de 1,2 milliard de dollars dans des acquisitions d’agences en 2017, un chiffre en hausse de 134% par rapport à 2016.
Le monde complexe du business d’aujourd’hui requiert une vision multidisciplinaire et un regard « différent » : les ingrédients clés du Business Design.
Pour aller plus loin :
- How Design Thinking will fix Design Thinking, Bert Brautigam
- Why Business Design is the Most Important Skill of the Future, David Schmidt
- Why the Right Mindset is Crucial to Becoming a Successful Business Designer by David Schmidt
- Facing the turbulence. The value of Business Design, Sketchin
- What is Business Design — and why is it the most important design job of the future? by John Oswald, Global Principal, Advisory Team at Futurice
- So You Want to Be a Business Designer? Misa Misono
- An Insider’s Guide To Business Design At IDEO, Rohini Vibha
- https://www.consultancy.uk/news/15831/deloitte-and-ey-acquire-design-agencies-brandfirst-and-citizen
- https://www.consultancy.uk/news/15825/accenture-deloitte-and-mckinsey-spent-12-billion-on-agency-acquisitions